N° 804 du
26 avril
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Caucriauville, la ville haute, le quartier populaire du Havre. Je me souviens de tout. Les arcades, la tour réservoir haute de vingt étages et cette rue du 8-Mai-1945 qui accueillait régulièrement les courses-poursuites entre flics et petits caïds de quartiers. Lendroit était parfait pour ce genre dexercices.
Ma tour à moi est rue Camélinat, au numéro 34. LHLM familiale se trouve au septième étage, le dernier, et elle ressemble à nimporte quelle HLM. Elle est petite, mais dedans cest la belle vie.
A la maison, il y a souvent du monde. On parle créole, on mange mauricien, on danse le séga, le folklore mauricien, et on regarde les films de Bollywood, sur le petit téléviseur. La communauté mauricienne est chez elle à la maison.
Mon père, Manduth, a été président du Club dodo, qui fait la fierté des trois cents familles mauriciennes débarquées au début des années 70 pour travailler sur les chantiers navals. Lui-même travaille là-bas, il est tuyauteur sur des bateaux chargés damiante. Les potes de boulot défilent chez nous. Le travail agit comme un véritable lien social, mon père ne parle pas français mais est parfaitement intégré.
Nous sommes au début des années 80 et le mélange, la mixité, cela fonctionne vraiment. La peur des étrangers arrivera plus tard. Nous, les enfants, on apprend. A cet âge-là, apprendre cest samuser. Lécole Edouard-Vaillant, dirigée dune main de maître par M. Vieux, nest pas très loin.
Le matin, cest un plaisir de se lever et de filer retrouver les amis, les maîtres dévoués, Melle Lemonnier ou M. Moi. Jadore lécole, jadore être à lécole.
A 16 h 30, les grands frères récupèrent les petits. Le mien, Vipin, moublie une fois sur deux, alors je rentre souvent seul jusquà lappartement. Une nouvelle journée commence.
Mes potes Fabian et Louis-Serge, dit Crevette à cause de son physique squelettique, mappellent par la fenêtre pour descendre. Moi, mon surnom, cest Vishnu. Un match de foot se prépare. Il y a aussi mon frère Nanou, Christophe, Leblond, Lebon Paillette et tous les autres
Sur le terrain de gravier, jenchaîne les feintes de corps. Jévite les merdes de chiens, le bac à sable, le tourniquet et les racines des arbres qui éclatent le sol.
Surtout, jessaie de ne pas rentrer dans le gardien dimmeuble, qui passe de temps en temps pour nous virer du seul terrain de jeu à notre disposition.
Mais le club du quartier, le Havre Caucriauville sportif (HCS), ne veut pas de moi. Je suis trop petit, paraît-il. Peut-être trop indien aussi. Alors je continue à jouer devant ma tour sous loeil de nos seuls spectateurs, un couple de vieux scotchés au rebord de la fenêtre. Ils aiment nous voir courir, crier, vivre.
Je continue à dribbler des Blancs, des Noirs, des Arabes, des grands, des petits, même quelques filles parfois.
Puis, à 7 ans, en 1980, le père de Fabian, dirigeant au HCS, me fait enfin signer une licence. Contre lavis des autres. Peu importe, cest parti. Jai un maillot bleu, mais il est un peu trop clair. Alors Mme Tocques, la mère de Nicolas, notre capitaine, machète le bon maillot et me loffre. Dans la foulée, mon oncle Das machète des chaussures de foot de la marque Patrick, belles, magnifiques même. Jen prends soin, je les dorlote. A présent, je joue partout et tout le temps. Le mercredi, entraînement en club au stade Jules-Ladoumègue. Le samedi, match. Le midi, dans la cour de récré de lécole Edouard-Vaillant. Le soir, en bas de limmeuble. Et quand il pleut, on joue dans une cage descalier avec une boule de papier aluminium.
Avec le HCS, on fait des éliminatoires, des tournois interquartiers, et voilà que le foot me fait traverser la rue. Je découvre les autres quartiers populaires du Havre : Mont-Gaillard, Sanvic, La-Mare-Rouge. Les quartiers bourges, le centre-ville, je les connaîtrai plus tard, pendant ladolescence. Bientôt, je sors de la ville et je joue contre Gonneville,
tods chaussures prix0yVTTOD BROWNING at Film Forum in New York City, Goderville, ou Saint-Romain et même Dieppe, à quatre-vingts kilomètres du Havre. Une fois, je joue à Lillebonne, sous le pont de Tancarville. Cest la campagne, les gosses de là-bas sont plus calmes, moins vicieux, plus bourrins. On gagne 6-0,
buy tods7mL4buy todsLes Inrocks Vikash Dhorasoo,
tods online store, on gagne tous nos matchs 6-0.
A chaque déplacement, les parents sorganisent. Trois ou quatre voitures, et en route. Au bord du terrain, cest casse-croûte, apéro et le père de Crevette qui crie : Vas-y les Bleus ! Puis cest le grand voyage pour un match de coupe nationale poussin, organisée par la Vache qui rit. On traverse le pont pour aller jouer dans la banlieue de Rouen, à soixante kilomètres du Havre.
On bat le HAC (Havre Athletic Club), puis on perd en demi-finale contre Oissel. Cest la première grande désillusion. Ils sont moins forts que nous, et pourtant
Cest ça le foot ! Cest dur, cest violent.
Dans la voiture, sur le chemin du retour, je pleure. Adieu le Parc des Princes. Il paraît que cest à Paris, encore plus loin.
Ma mère ne veut pas laver mes affaires pleines de boue, elle naime pas encore le foot. Alors, parfois, pour lui faire plaisir, on change de sport. On joue à cache-cache dans les caves communicantes de la cité,
tods Woman6eHXballerines tod's en ligneIgnore Pyth, imaginées par larchitecte Auguste Perret, qui a redessiné tout Le Havre après la guerre. On fait aussi des courses-poursuites dans les escaliers, on joue aux billes avec les Chinois. De temps en temps, on joue au tennis derrière limmeuble, sur le parking qui mène au centre équestre de la forêt de Rouelles, réservé aux plus riches. Une fois ou deux,
tods Woman, on passe par un trou dans le grillage pour entrer au Havre Tennis Club. On séchappe ensuite vers le château de la Comtesse, gardé par deux bergers allemands. Trop risqué pour moi.
Et puis la crise arrive et le chômage avec. Nous sommes en 1982 : le deuxième choc pétrolier, consécutif à la guerre Iran-Irak, commence à faire mal. Les pères ne vont plus travailler. Un jour, le mien revient du boulot quelques minutes seulement après être parti. Cest le chômage technique. LAudi 80 dans laquelle toute la famille, sept personnes, avait lhabitude de sentasser, sans ceinture, ne quitte plus le parking de la cité.
Petit à petit, les visages se ferment, les rapports se tendent et tout se dégrade. Plus personne ne samuse dehors. La fenêtre et les volets des vieux restent à présent fermés.
Lascenseur tombe en panne, la minuterie ne marche plus,
tod's femmes, un sadique traîne dans les caves et la cage descalier commence à sentir la pisse. On y retrouve parfois des seringues. Mes soeurs ont 13, 14 ans et pour elles, la liberté sest déjà envolée. Les gens senferment chez eux. Pour moi, Caucriauville, cest fini. La famille Dhorasoo quitte le petit immeuble de la rue Camélinat pour Aplemont, le quartier dà côté. Nous emménageons dans un petit pavillon à retaper. Nous sommes en 1983, et très bientôt, je signerai ma première licence au HAC, le grand club de la ville.
Vikash Dhorasoo